Itinérance : «Je n’ai pas basculé en l’espace de 24 heures» - Noël G.

Mathieu Galarneau [email protected]
Publié le 20 octobre 2016

Homeless person holding a few cents in his hands

On ne connaît pas ce que le futur nous réserve. On ne peut pas s’imaginer que des événements marquants dans notre vie nous amènent à la rue. C’est pourtant ce qui est arrivé à Noël G. Témoignage d’un homme qui ne l’a pas eu facile, vivant sans domicile fixe pendant une douzaine d’années, mais qui est venu à bout de ses démons et a repris goût à la vie.

C’est d’une main chaleureuse que Noël nous accueille dans son logement du boulevard Charest à Québec. Grâce aux programmes de logements sociaux, Noël peut habiter un trois et demi sans y dilapider l’entièreté de son chèque d’aide sociale.

Un «appart» tout ce qu’il y a de plus normal : des photos de famille sur le frigo, un divan confortable, une télé… Rien qui ne laisse que Noël, dans la cinquantaine, a passé une douzaine d’années sans un pied à terre à lui.

C’est quand il a commencé à faire des démarches pour accéder à son logement social qu’il s’est rendu compte qu’il était sans domicile fixe (SDF). «Il faut prouver plein de choses, il y a des conditions à remplir pour obtenir du logement social. Quand une intervenante m’a dit que j’étais SDF, j’ai compris que ça créait une complication», explique-t-il.

 

Comment devient-on SDF?

«Je n’ai pas basculé en l’espace de 24 heures», précise Noël.

L’homme sans histoire était marié, père de trois enfants. Un travail dans le domaine des pâtes et papiers.

Jamais il n’aurait pu croire que sa vie allait basculer. «J’étais imbu de moi-même, encore à cette époque-là. Je ne pensais pas que ça pouvait m’arriver. Puis, un jour ma femme m’a dit qu’elle se sentait comme un bibelot dans la maison.»

Le divorce a suivi, un choc terrible. «J’ai commencé à avoir une seconde vie. Je me suis mis à mal feeler. Je ne faisais pas confiance aux gens qui m’entouraient. Je cherchais à fuir tout ce qui se passait dans la vie.»

La fuite, elle a été totale. Noël s’est départi de la garde de son fils. Puis, fini, la maison. «Je fréquentais une fille qui faisait la rue. Moi, dans ma grosse tête, je m’imaginais que j’allais la sortir de là. Je me pensais ben fort», se remémore-t-il.

À cette même époque, il a commencé à consommer des drogues dures. Il se croyait au-dessus de ses affaires. «J’avais déjà une dépendance à l’alcool mais ça ne m’avait pas empêché de fonctionner assez bien. Quand j’ai embarqué la drogue dure, ça a été fatal», confie-t-il.

À partir de ce moment, la fuite s’est intensifiée. Noël a commencé à vivre en chambre. «Je ne voulais plus rien, plus de fauteuil, plus de télé, plus devoir rien à personne. Des bouts, je n’avais même plus de change. Je me ramassais dans des maisons d’hébergement comme Lauberivière (à Québec).»

Pendant cette douzaine d’années, Noël a vécu des petits hauts et des gros bas. «Autant j’avais réussi à être autonome dans ma vie, avoir une maison, une famille, autant que tout d’un coup, c’était l’inverse, et il fallait que quelqu’un s’occupe de moi. Tu deviens tellement décroché, que tu crois que c’est impossible de te raccrocher à rien», estime-t-il.

Il n’y a pas que la consommation de drogue comme seul facteur de sa descente aux enfers. «Quand j’ai consulté un psychologue, il est ressorti que mon divorce m’avait ramené à l’époque où j’avais 4 ans où j’avais perdu mes parents. C’est comme si j’avais revécu un traumatisme. L’abandon m’a rentré dedans.»

 

Pourquoi raccrocher?

D’un ton très calme, Noël raconte qu’il n’était pas facile d’avouer qu’il avait besoin d’aide, encore et encore. Difficile également de s’avouer à lui-même qu’il avait besoin d’aide: c’est un type orgueilleux, c’est un homme après tout.

Alors pourquoi ressentir le besoin de raccrocher pour de bon? «Pour moi, c’est la naissance de mes deux petites-filles [long silence]. Quelle sorte de grand-père je voulais être pour elles? Ça m’a donné le goût de me prendre en main, leur montrer que la vie vaut la peine d’être vécue», laisse-t-il tomber, doucement.

Ça a été difficile, et ce l’est encore. Noël doit vivre au jour le jour pour se convaincre de continuer, même après près d’une décennie de sobriété et de stabilité. «J’aime ça prendre une petite bière ou un verre de vin. Je me dis que c’est mieux pas. C’est de même que je prends la vie pour tout de suite. Demain, je ne peux pas te le dire.»

 

Une vie active

Noël n’a pas réussi à trouver sa place sur le marché du travail malgré plusieurs tentatives. Ça ne l’empêche pas d’avoir une vie active. «C’est assez rare que je suis chez moi à rien foutre… faudrait que je te montre mon agenda! Je livre mon témoignage dans les écoles. Je travaille également à favoriser le logement social. Je n’ai pas eu le temps de m’ennuyer dans les dernières années!»